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Le Monde Dimanche/Lundi 29 Octobre 2000


La Mastocytose, « maladie orpheline », sort enfin de l'ombre Une association, fondée en 1999, a lancé un ambitieux programme de lutte contre cette affection rare qui frappe des cellules impliquées dans la défense contre les infections et dans la réaction allergique

JUSQU'EN 1999, personne, hors un très petit cercle de spécialistes, n'avait entendu parler de la Mastocytose. Cette maladie rare se caractérise par un dérèglement de la prolifération et de l'activité des mastocytes, des cellules dont les précurseurs naissent dans la moelle osseuse, avec ceux des cellules sanguines, et dont la spécialité est d'aller se nicher dans les tissus, pour y constituer la première ligne de défense contre les infections. Les mastocytes sont aussi très impliqués dans la réaction allergique, ce qui fait que leur étude soulève un intérêt qui va très au-delà de la Mastocytose.

« Il s'agit d'une maladie à part entière, caractérisée par la prolifération anarchique des mastocytes dans différents organes, explique Olivier Hermine, professeur d'hématologie à l'hôpital Necker. Elle frappe sans doute environ mille personnes en France, et touche de manière égale toutes les races et les deux sexes. » La plupart des cas sont isolés, mais certains cas familiaux ont été décrits, en particulier aux Etats-Unis, sous la forme d'un urticaire pigmentaire, transmis à travers plusieurs générations d'une même famille. La maladie traduit à la fois la prolifération des mastocytes dans les différents tissus et la libération explosive des médiateurs de l'inflammation et de l'allergie contenus dans les granules des mastocytes, en particulier l'histamine. Elle peut toucher tous les organes et n'est pas souvent diagnostiquée rapidement.

C'est au niveau de la peau que les signes sont le plus fréquemment présents, ce qui fait que le diagnostic est volontiers porté par les dermatologues. Ils sont dominés par les démangeaisons qui peuvent être insupportables, surtout pour les enfants. Mais il peut aussi s'agir de boutons, plus ou moins colorés, ou de fortes rougeurs du visage. L'examen d'un prélèvement de peau guide le diagnostic.

Les signes digestifs, présents chez le quart des malades, sont surtout des diarrhées, parfois si impérieuses qu'elles empêchent quasiment toute vie sociale et professionnelle et peuvent rappeler les symptômes de la maladie de Crohn, une maladie inflammatoire de l'intestin beaucoup plus fréquente que la Mastocytose. Ces diarrhées s'accompagnent plus rarement de douleurs abdominales, de nausées et de vomissements, d'ulcères de l'estomac. Un gros foie ou une grosse rate sont présents dans la moitié des cas environ, traduisant la prolifération des mastocytes dans ces organes.

Les troubles du système nerveux central ne sont pas en reste : les malades se plaignent d'irritabilité, de dépression souvent profonde dans laquelle les dosages montrent une diminution majeure des neurotransmetteurs. Des pertes de mémoire sont aussi fréquentes, gênantes dans la vie professionnelle. Le malade a souvent l'impression de rater sa vie tant privée que professionnelle. Car il ressent de façon quasi permanente un malaise général et une grande fatigue.

Les cystites amicrobiennes sont la marque de l'envahissement celle de la vessie. Les os paient aussi leur tribut à la maladie. En effet, l'ostéoporose est relativement fréquente, surtout marquée sur les vertèbres, ce qui fait perdre des centimètres de taille à certains malades. L'appareil locomoteur est aussi frappé dans ses muscles avec des crampes, des tétanies qui évoquent parfois une maladie des mitochondries, de petits organites cellulaires spécialisés dans la respiration cellulaire et la fourniture d'énergie à la cellule.

COMPLICATIONS REDOUTABLES Deux complications sont redoutables car elles mettent en jeu la vie du malade. Tout d'abord les chocs anaphylactiques, survenant quelques minutes après une prise médicamenteuse - « en particulier valium et morphine, volontiers administrés lors des accidents », note Alain Moussy, président de l'Association française pour les initiatives de recherche sur le mastocyte et les Mastocytoses (Afirmm) - ou l'ingestion d'aliments auxquels le sujet est sensibilisé. Ils font suite à la libération massive de médiateurs de l'allergie et se manifestent par une défaillance circulatoire aiguë qui peut être mortelle en l'absence de l'injection immédiate d'adrénaline. « Le sujet doit donc toujours en avoir une ampoule sur lui et prévenir, dans la mesure du possible, les intervenants médicaux de sa maladie », conseille Alain Moussy. La deuxième complication grave, toujours rapidement mortelle, est la survenue d'une leucémie à mastocytes, qui ne répond encore aujourd'hui à aucun traitement.

L'ensemble de ces signes semble, à première vue, très disparate. Mais il s'agit d'une maladie grave dont la plupart des signes ne se voient pas, ce qui explique le retard fréquent au diagnostic. En cas de soupçon, il convient de rechercher l'envahissement de la moelle osseuse. En effet la proportion de mastocytes, normalement autour de 1 cellule pour 10 000, augmente pour atteindre volontiers 1 %.

On conçoit bien que la présentation clinique et l'évolution de la maladie soient très variables. Il existe des formes chroniques d'évolution lente et peu proliférative et, à l'inverse, des formes aiguës d'évolution rapidement défavorable.

Les formes chroniques peuvent être localisées, surtout au niveau de la peau. C'est souvent le cas chez les enfants qui ont une maladie bénigne, à type d'urticaire, le plus souvent pigmenté, qui peut disparaître à l'adolescence, ou de petites tumeurs cutanées localisées qui sont des mastocytomes. Elles peuvent aussi être généralisées, dites alors systémiques, à évolution extrêmement variable, mais elles n'écourtent pas, en général, la durée de vie des personnes atteintes. Les formes dites indolentes - pour les différencier des formes agressives - sont les plus fréquentes, représentant 60 % à 80 % des cas. Un urticaire pigmentaire peut précéder, pendant plusieurs décennies, la dissémination de l'affection vers d'autres organes.

Les Mastocytoses sont aujourd'hui traitées de façon essentiellement symptomatique. Le défi est de bloquer le processus de dégranulation des mastocytes - par l'acide rétinoïque, par exemple - ou, surtout, de limiter les effets biologiques des médiateurs de l'allergie libérés. Les principaux médicaments utilisés sont donc les antihistaminiques qui diminuent les démangeaisons et les rougeurs, les symptômes digestifs comme les maux d'estomac et l'acidité gastrique. L'ostéoporose, lorsqu'elle existe, peut être traitée par les biphosphonates, le calcium et la vitamine D ( Le Monde du 7 février).

Mais ces traitements ne sont pas toujours très efficaces et on cherche aujourd'hui à empêcher la prolifération des mastocytes. Les interférons alpha sont essayés depuis quelques années. Ils donnent des résultats dans un nombre important de Mastocytoses à la symptomatologie invalidante. Un point important à ne pas négliger est le risque de dépression qui accompagne ce traitement, et qui se surajoute à la tendance dépressive observée fréquemment chez ces malades. Un traitement par des médicaments de la classe du Prozac peut en modifier considérablement la tolérance. Certains médicaments utilisés dans le traitement du cancer semblent aussi actifs sur la prolifération mastocytaire et des essais cliniques mêlant interféron alpha et antimitotiques sont sur le point de commencer.

« TOUT EST PRÊT pour que la recherche sur la Mastocytose débouche en quelques années sur un traitement définitif », proclame Alain Moussy, président-fondateur de l'Association française pour les initiatives de recherche sur le mastocyte et les Mastocytoses (Afirmm), créée en juin 1999. Pour parvenir à cet objectif très ambitieux, l'Afirmm a réuni le maximum de compétences. « Je me suis aperçu alors qu'on connaissait beaucoup de choses et qu'une recherche bien conduite avait de fortes chances de déboucher rapidement sur un traitement, raconte Alain Moussy. » Il a réuni toutes les compétences et, ensemble, ils ont défini un programme de recherche ambitieux mais cohérent, dont les premiers résultats ont été présentés les 7 et 8 octobre à Paris, lors de la deuxième assemblée générale de l'Afirmm.

« Les programmes reposent sur trois pôles distincts, a rappelé Alain Moussy

: la compréhension des causes et des conséquences de la prolifération anormale des mastocytes ; l'élaboration de stratégies thérapeutiques novatrices ; la mise en oeuvre d'essais cliniques. » On sait, en effet, que la majorité des Mastocytoses sont dues à une cause unique, une mutation du gène codant pour le récepteur c-kit, qui est presque toujours la même chez les différents malades.

L'ensemble du programme est validé et soutenu par un comité scientifique représenté, entre autres, par Pierre Tambourin, directeur du Génopole d'Evry, et Pierre Chambon, directeur de l'Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire (IGBMC) à Strasbourg. Le vice-président de l'association est le professeur Michel Arock qui, depuis sa thèse passée il y a une vingtaine d'années sur le mastocyte et l'allergie, n'avait cessé d'étudier cette cellule. Des équipes médicales sont impliquées dans le projet, dirigées par les professeurs Michel Casassus et Olivier Lortholary à l'hôpital Avicenne de Bobigny, Olivier Hermine à l'hôpital Necker et le docteur Pierre-André Bécherel de la Pitié- Salpêtrière qui étaient quasiment seuls à s'occuper de cette maladie avant la constitution de l'Afirmm.

« Nous prévoyons d'étudier le maximum de malades atteints de la maladie dans les centres d'investigation cliniques mixtes Inserm-hôpitaux, d'établir un véritable état des lieux de la maladie, de colliger tous les symptômes de chacun des malades et faire des prélèvements de peau, de sang et de moelle afin d'isoler les mastocytes malades et d'analyser complètement leur gène c-kit », explique Olivier Hermine.

Il faut créer des modèles animaux, des lignées cellulaires. Tous les aspects possibles de la recherche sont développés, et l'association fait systématiquement appel aux plus compétents, où qu'ils se trouvent.

Des contacts ont été pris aussi avec l'industrie pharmaceutique et la société Sanofi- Synthélabo a donné son accord pour participer au projet fondamental de caractérisation complète de la biologie du mastocyte normal et du mastocyte pathologique, par le biais de technologies parmi les plus récentes : étude du transcriptome, qui est la collection de gènes qui s'activent dans une cellule particulière ; et et étude du protéome, qui est la collection de protéines qui constituent une cellule.

Ce projet est soumis aux ministères de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie ainsi qu'à celui de l'économie, des finances et de l'industrie, dans le cadre d'un appel à proposition baptisé « post-génome ».

Des stratégies thérapeutiques innovantes sont mises en oeuvre. Un premier type d'approche, dont les résultats sont attendus à plus longue échéance, est la thérapie génique. Connaissant la mutation génique, on pourra peut-être un jour corriger cette mutation ou inhiber l'expression du gène muté. A plus court terme, les chercheurs visent à inhiber spécifiquement le récepteur c-kit qui est impliqué dans la multiplication anarchique des mastocytes. Ce récepteur appartient à une famille bien connue, celle des récepteurs à activité tyrosine kinase, très fréquemment impliqués dans la prolifération cellulaire et les cancers.

La mise au point de traitements de la Mastocytose pourrait donc également fournir des solutions pour d'autres maladies comme les cancers et les leucémies. L'industrie pharmaceutique (Novartis) s'est intéressée à ces projets et met certaines de ses molécules à la disposition des chercheurs. Un autre aspect qui rend l'étude des Mastocytoses particulièrement intéressante est leur proximité avec toutes les maladies allergiques. Trouver le moyen d'empêcher les mastocytes, normaux ou pathologiques, de libérer brutalement des médiateurs qui, non contrôlés, mettent la vie en danger et, au minimum, rendent pénible la vie des polyallergiques. Les allergies sont en progression constante, l'industrie pharmaceutique s'y intéresse.

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